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Le progrès technique a modifié l’équilibre entre l’homme et son environnement naturel en donnant au premier les moyens de dominer le second. Ce déséquilibre s’est accentué en Occident avec la révolution industrielle puis s’est étendu au reste du monde à travers l’économie de marché, les échanges commerciaux et le transfert inhérent de technologie.
Conséquence de cette maîtrise technique triomphante, s'est imposé le paradigme d’un développement fondé sur une exploitation effrénée des ressources naturelles. Plus la nature est prise d’assaut, soumise et exploitée, plus elle génère des revenus et soutient la croissance de l’activité économique, croissance voulue et planifiée continue.
Ce paradigme du développement peu économe en ressources naturelles s’est si ancré dans les esprits que la prise de conscience de ses dommages environnementaux, a pris du temps. Le retard est tel que, aujourd’hui encore, certains persistent dans le déni des atteintes à la nature, pour tangibles et flagrantes qu’elles soient.
Tout s’est passé comme si l’homme, grisé par ses avancées techniques, qui ont soulagé en lui l’angoisse archaïque à l’endroit d’une nature à la fois mère nourricière et source de menaces (attaques d’animaux sauvages, sinistres divers, etc.), s’est acharné contre l’environnement de toute sa force décuplée.
A l’homme, la nature n’a pas tardé à adresser la facture de ses méfaits. Elle l’a fait par le changement du climat qui se dérègle. Elle l’a fait aussi par le retour de la pollution à l’expéditeur que nous sommes : la pollution causée par l’activité humaine envahit l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons et la nourriture que nous mangeons, affectant d’autant notre santé.
Dans ce contexte général, la question de l’environnement se pose avec une acuité particulière à Djibouti, car notre écosystème, déjà fragile, s’est beaucoup dégradé au fil du temps et des assauts humains. Il suffit de considérer, pour s’en convaincre, la rareté des pluies, le recul du couvert végétal, le risque de montée de la mer ainsi que la pollution de l’air comme des paysages terrestres et marins.
Dès lors, la protection de notre environnement est d’une nécessité vitale et commande une politique à sa mesure. Nous devons, avec la plus grande résolution, placer la protection environnementale au cœur des politiques publiques. Que ce soit dans l’aménagement du territoire, dans l’urbanisation et dans les transports, que ce soit dans l’industrie, dans l’agropastoral et dans la gestion des déchets, que nous agissions sur la terre, dans la mer ou dans l’air, le développement ne doit pas s’accomplir contre mais avec l’environnement.
A cet égard, les politiques publiques peuvent utilement réactiver, dans l’imaginaire collectif, notre rapport endogène à l’environnement qui n’est pas un rapport d’exploitation effrénée. Rappelons-nous que les éleveurs que nous sommes, ont traversé les siècles grâce à un usage raisonné des ressources naturelles. La pratique de la transhumance saisonnière chez certains, l’usage alterné des pâturages locaux chez d’autres, la coupe de bois modérée, ou encore la régulation du bétail par la consommation, sont autant d’indicateurs de notre rapport endogène à la nature.
Concrètement, l’enjeu environnemental doit non seulement se traduire dans la règle de droit, à travers un véritable code de l’environnement, mais aussi dans les actes de tous les jours. Cela passe par une gestion publique exemplaire, en termes d’application effective de la législation environnementale dans tous les domaines de la vie nationale mais aussi d’éducation soutenue et tous azimuts à la protection de la nature. Il y va de notre survie. Notre volonté politique est de protéger notre environnement pour nous protéger, nous et les générations futures. Pour ce faire, nous voulons notamment :
- Lutter contre la dégradation des terres, de l'eau, de la végétation et de l'air qui constituent notre système global de survie ;
- Assurer une gestion durable des ressources naturelles du pays et encourager, autant que possible, l'autosuffisance en eau, en nourriture et en énergie ;
- Promouvoir l’adoption par la population des modes de vie, de consommation et de production durables ;
- Préserver la diversité du patrimoine naturel et culturel, avec la participation effective de tous les secteurs de la société ;
- Sensibiliser le public aux liens essentiels entre l’environnement et le développement de manière à promouvoir la participation individuelle et collective à la protection environnementale.
L’environnement c’est aussi la gestion des risques et catastrophes. D’où l’urgence, entre autres mesures, de :
- Renforcer l’efficacité des mécanismes institutionnels et assurer la coordination des activités de tous les acteurs intervenant dans la réduction et la gestion des risques et catastrophes ;
- Assurer l'identification, l'évaluation et le suivi des risques et catastrophes ;
- Développer la prévision et l'alerte précoce, notamment par une communication réactive et sécurisée ;
- Assurer une réponse et un secours efficaces par une approche bienveillante des besoins des couches vulnérables de la société ;
- Conduire, pour une vie plus sûre, la reconstruction comme une opportunité de rendre ce qui a été détruit plus résilient aux risques et catastrophes ;
- Promouvoir dans le pays une culture de prévention, de préparation et de résilience en mobilisant à la fois nos ressources culturelles dont l'éducation et les moyens modernes dont l'innovation ;
- Renforcer les règles et le régime de conformité pour créer un environnement favorable ;
- Promouvoir la coordination régionale et internationale de la gestion des risques et catastrophes, en particulier pour ceux traversant les frontières telles que les pandémies.
Le développement d’un pays n’est pas qu’urbain, il ne s’adresse pas qu’aux villes. Il concerne aussi la campagne qu’il doit tirer vers le haut.
Cela se repère aisément dans les politiques publiques mises en œuvre à travers le monde développé et qui ont transformé la vie dans les campagnes. Même si cette transformation est loin d’être irréprochable en raison notamment de son impact négatif sur l’environnement (pollution et surexploitation) et sur la santé des populations (pesticides, OGM, etc.).
Sous nos cieux, le développement rural est au programme gouvernemental depuis l’Indépendance de 1977. Tous les gouvernements qui se sont succédé ont comporté un ministère de la ruralité. Avec un accent particulier, dans le discours, sur l’agriculture, l’élevage et la pêche, notamment au nom de la réduction de la dépendance alimentaire.
Quel bilan peut-on alors établir en la matière plusieurs décennies après l’accession à l’Indépendance ? La campagne djiboutienne s’est-elle développée ? Y observe-t-on des effets bénéfiques de l’action gouvernementale ?
Le bilan de la politique rurale de nos gouvernants est bien maigre. A vrai dire, la campagne djiboutienne se trouve toujours confrontée à la soif, au déficit de services de base (écoles, centres de santé, routes, télécommunications, etc.) et à l’indigence économique. En dehors de quelques points d’eau, de quelques écoles peu pourvues en moyens, de quelques pistes ou de la rémunération de quelques personnalités coutumières, aucun effet significatif de l’argent public dépensé au titre du développement rural n’est perceptible.
Autrement dit, le développement rural reste à faire à Djibouti. Il est à penser et à réaliser, car la campagne doit offrir à sa population les conditions d’une vie décente. Penser le développement rural ? Cela revient à réfléchir au choix d’un modèle socioéconomique rural pertinent, qui tienne compte de notre climat, de nos terres et du fait que la campagne djiboutienne est un espace dominé par le pastoralisme nomade ou semi-nomade. En d’autres termes, nous considérons qu’il faut, non pas plaquer tel ou tel modèle exogène sur nos réalités, mais apporter des améliorations bien senties à ces réalités et faire ainsi avancer la ruralité. Nos réalités, disons-nous. Nous venons d’en faire mention, pour la majorité des ruraux, la réalité centrale autour de laquelle la vie s’organise est l’élevage pastoral, tandis que la minorité restante se répartit entre la pêche et l’agriculture. Autant d’activités adossées à un savoir, un savoir-faire et un savoir-être bien ancrés. Il faut donc, en accord avec les ruraux, faire évoluer ces activités centrales. Comment ?
Il convient, avec et pour les pasteurs nomades, d’envisager un mode d’élevage qui soit moins dépendant des aléas du climat. Cela nous semble possible avec une dynamique de sédentarisation consciente du changement climatique et de la rareté des ressources. Pour impulser cette dynamique, il faut faire prendre conscience à nos pasteurs nomades et semi-nomades que les conditions climatiques changent et que, en se fixant, ils peuvent, avec l’aide de l’État, mieux capter les eaux pluviales quand elles tombent, mieux accéder aux eaux souterraines, élever du bétail, pratiquer de l’agriculture. Ils peuvent cultiver des fruits et légumes adaptés, pour leur propre consommation comme pour le marché. Ils peuvent cultiver des plantes fourragères adaptées pour nourrir leur bétail, optimiser les ressources que celui-ci offre en termes de laitage, de viande, de peaux et autres. Ils peuvent, outre le bétail ancestral, pratiquer d’autres élevages tels que l’aviculture. Il faut aussi leur faire prendre conscience que, grâce à la sédentarisation, ils vont bénéficier de services publics de base : éducation, santé, voies de communication, services administratifs et autres investissements co-pensés avec eux.
Dans le même mouvement, il convient d’impulser chez les ruraux et avec eux un développement raisonné de l’artisanat endogène. Ce, dans une optique à la fois culturelle et économique. Culturelle, car il s’agit de mieux visibiliser le savoir-faire ancestral et de contribuer à sa promotion nationale, notamment auprès des jeunes générations urbaines, mais aussi internationale par le biais du tourisme. Économique, car les objets fabriqués, qu’ils soient objets usuels ou objets d’art, prennent une valeur marchande et génèrent des revenus pour les artisans ruraux. C’est donc une piste intéressante pour renforcer l’articulation de notre ruralité à l’économie monétisée et améliorer les conditions d’existence de nos ruraux.
Parallèlement, il convient de développer le secteur existant de la pêche et de l’agriculture. Ce, par la formation, par l’accès au financement et à l’équipement, par un accès rémunérateur au marché. Mais aussi par l’accès à de nouvelles cultures climato-compatibles pour les agriculteurs et à des techniques de pêche respectueuses des ressources halieutiques pour les pêcheurs.
De même, Il est important d’encourager la mobilité professionnelle des ruraux pour une meilleure distribution des activités économiques dans le paysage rural. Il s’agit de diversifier les activités mais aussi d’inscrire l’exploitation de nos ressources naturelles dans une stratégie de développement durable.
Puiser dans la nature sans l’épuiser, tel doit être le crédo d’un développement rural durable et co-construit avec les ruraux.
En résumé, il nous faut :
- Sensibiliser les pasteurs nomades et semi-nomades aux opportunités de la vie sédentaire : accès aux services de base tels que l’école réformée, la santé, l’accès aux infrastructures, etc.) ;
- Développer la recherche sur le développement rural, notamment pour innover de manière endogène ;
- Promouvoir l’agriculture dans une optique d’appropriation écoresponsable, de sécurité alimentaire et de génération de revenus ;
- Développer la pêche de manière écoresponsable ;
- Promouvoir un élevage capable de concilier héritage ancestral et adaptation à la vie sédentaire ;
- Soutenir l’artisanat rural dans une optique à la fois culturelle et économique ;
- Encourager la mobilité professionnelle des ruraux pour une meilleure distribution des activités économiques dans le paysage rural ;
- Mobiliser la coopération internationale pour tirer profit des expériences pertinentes et transférables dans le contexte djiboutien.