Le développement d’un pays n’est pas qu’urbain, il ne s’adresse pas qu’aux villes. Il concerne aussi la campagne qu’il doit tirer vers le haut.
Cela se repère aisément dans les politiques publiques mises en œuvre à travers le monde développé et qui ont transformé la vie dans les campagnes. Même si cette transformation est loin d’être irréprochable en raison notamment de son impact négatif sur l’environnement (pollution et surexploitation) et sur la santé des populations (pesticides, OGM, etc.).
Sous nos cieux, le développement rural est au programme gouvernemental depuis l’Indépendance de 1977. Tous les gouvernements qui se sont succédé ont comporté un ministère de la ruralité. Avec un accent particulier, dans le discours, sur l’agriculture, l’élevage et la pêche, notamment au nom de la réduction de la dépendance alimentaire.
Quel bilan peut-on alors établir en la matière plusieurs décennies après l’accession à l’Indépendance ? La campagne djiboutienne s’est-elle développée ? Y observe-t-on des effets bénéfiques de l’action gouvernementale ?
Le bilan de la politique rurale de nos gouvernants est bien maigre. A vrai dire, la campagne djiboutienne se trouve toujours confrontée à la soif, au déficit de services de base (écoles, centres de santé, routes, télécommunications, etc.) et à l’indigence économique. En dehors de quelques points d’eau, de quelques écoles peu pourvues en moyens, de quelques pistes ou de la rémunération de quelques personnalités coutumières, aucun effet significatif de l’argent public dépensé au titre du développement rural n’est perceptible.
Autrement dit, le développement rural reste à faire à Djibouti. Il est à penser et à réaliser, car la campagne doit offrir à sa population les conditions d’une vie décente. Penser le développement rural ? Cela revient à réfléchir au choix d’un modèle socioéconomique rural pertinent, qui tienne compte de notre climat, de nos terres et du fait que la campagne djiboutienne est un espace dominé par le pastoralisme nomade ou semi-nomade. En d’autres termes, nous considérons qu’il faut, non pas plaquer tel ou tel modèle exogène sur nos réalités, mais apporter des améliorations bien senties à ces réalités et faire ainsi avancer la ruralité. Nos réalités, disons-nous. Nous venons d’en faire mention, pour la majorité des ruraux, la réalité centrale autour de laquelle la vie s’organise est l’élevage pastoral, tandis que la minorité restante se répartit entre la pêche et l’agriculture. Autant d’activités adossées à un savoir, un savoir-faire et un savoir-être bien ancrés. Il faut donc, en accord avec les ruraux, faire évoluer ces activités centrales. Comment ?
Il convient, avec et pour les pasteurs nomades, d’envisager un mode d’élevage qui soit moins dépendant des aléas du climat. Cela nous semble possible avec une dynamique de sédentarisation consciente du changement climatique et de la rareté des ressources. Pour impulser cette dynamique, il faut faire prendre conscience à nos pasteurs nomades et semi-nomades que les conditions climatiques changent et que, en se fixant, ils peuvent, avec l’aide de l’État, mieux capter les eaux pluviales quand elles tombent, mieux accéder aux eaux souterraines, élever du bétail, pratiquer de l’agriculture. Ils peuvent cultiver des fruits et légumes adaptés, pour leur propre consommation comme pour le marché. Ils peuvent cultiver des plantes fourragères adaptées pour nourrir leur bétail, optimiser les ressources que celui-ci offre en termes de laitage, de viande, de peaux et autres. Ils peuvent, outre le bétail ancestral, pratiquer d’autres élevages tels que l’aviculture. Il faut aussi leur faire prendre conscience que, grâce à la sédentarisation, ils vont bénéficier de services publics de base : éducation, santé, voies de communication, services administratifs et autres investissements co-pensés avec eux.
Dans le même mouvement, il convient d’impulser chez les ruraux et avec eux un développement raisonné de l’artisanat endogène. Ce, dans une optique à la fois culturelle et économique. Culturelle, car il s’agit de mieux visibiliser le savoir-faire ancestral et de contribuer à sa promotion nationale, notamment auprès des jeunes générations urbaines, mais aussi internationale par le biais du tourisme. Économique, car les objets fabriqués, qu’ils soient objets usuels ou objets d’art, prennent une valeur marchande et génèrent des revenus pour les artisans ruraux. C’est donc une piste intéressante pour renforcer l’articulation de notre ruralité à l’économie monétisée et améliorer les conditions d’existence de nos ruraux.
Parallèlement, il convient de développer le secteur existant de la pêche et de l’agriculture. Ce, par la formation, par l’accès au financement et à l’équipement, par un accès rémunérateur au marché. Mais aussi par l’accès à de nouvelles cultures climato-compatibles pour les agriculteurs et à des techniques de pêche respectueuses des ressources halieutiques pour les pêcheurs.
De même, Il est important d’encourager la mobilité professionnelle des ruraux pour une meilleure distribution des activités économiques dans le paysage rural. Il s’agit de diversifier les activités mais aussi d’inscrire l’exploitation de nos ressources naturelles dans une stratégie de développement durable.
Puiser dans la nature sans l’épuiser, tel doit être le crédo d’un développement rural durable et co-construit avec les ruraux.
En résumé, il nous faut :
- Sensibiliser les pasteurs nomades et semi-nomades aux opportunités de la vie sédentaire : accès aux services de base tels que l’école réformée, la santé, l’accès aux infrastructures, etc.) ;
- Développer la recherche sur le développement rural, notamment pour innover de manière endogène ;
- Promouvoir l’agriculture dans une optique d’appropriation écoresponsable, de sécurité alimentaire et de génération de revenus ;
- Développer la pêche de manière écoresponsable ;
- Promouvoir un élevage capable de concilier héritage ancestral et adaptation à la vie sédentaire ;
- Soutenir l’artisanat rural dans une optique à la fois culturelle et économique ;
- Encourager la mobilité professionnelle des ruraux pour une meilleure distribution des activités économiques dans le paysage rural ;
- Mobiliser la coopération internationale pour tirer profit des expériences pertinentes et transférables dans le contexte djiboutien.