L’éducation est une question à la fois de savoir, de valeurs et de culture. En effet, éduquer est de faire en sorte que le public visé, souvent jeune, parfois moins jeune, acquière du savoir, s’approprie des valeurs et s’enracine dans une culture. Autrement dit, l’éducation ne se réduit pas à l’instruction qui, elle, est centrée sur le savoir.
Cela explique que, dans le monde moderne, le terme éducation se soit substitué à celui d’instruction. Ainsi, l’organisation mondiale spécialisée en la matière, se nomme : Organisation des Nations-Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, ce qui donne l’abréviation Unesco en anglais.
Plus précisément, la dimension savoir (ou instruction) de l’éducation renvoie au savoir théorique et au savoir pratique ou, en d’autres termes, au savoir, au savoir-être et au savoir-faire, qu’il soit local ou plus global. Elle est centrée sur un contenu à enseigner et à apprendre qui, en passant du registre du savoir objectif (ou objectivé) à celui du savoir intériorisé par l’apprenant, devient connaissance pour ce dernier. De sorte que les connaissances sont des savoirs détenus par le sujet humain qui les a intériorisés. Pour sa part, la dimension valeurs (une valeur est ce à quoi l’on attache de la valeur, de l’importance), transmet à l’apprenant des repères et induit des usages (ou comportements considérés comme les meilleurs par la société concernée). Englobante, la culture dont l’éducation est un lieu privilégié, peut se définir comme la manière d’être au monde de la société concernée.
Pour aller plus avant, disons que, dans le savoir, il y a des éléments universels, partagés avec le reste du monde, tels que les mathématiques, les sciences dites exactes (biologie, physique et chimie), les sciences de la santé ou celles humaines et sociales (ethnocentrisme mis à part), ou encore le savoir sur les activités physiques et sportives. Mais il y a aussi, dans le savoir, d’autres éléments tels que l’histoire et la géographie du pays, sa ou ses langues, sa littérature, ses autres arts, bien que cela n’exclue pas l’ouverture au reste du monde sous ces mêmes aspects.
De même, il y a dans les valeurs (que l’on peut aussi définir comme de grands principes moraux), celles universelles, c’est-à-dire des valeurs communes à l’humanité, comme par exemple la liberté, la vérité, l’amour, la solidarité, ou encore la justice. Il y a aussi des valeurs plus spécifiques à la société concernée et qui fondent ses usages particuliers. Bien entendu, chaque société éduque ses membres aux deux types de valeurs qui sont autant de repères pour la vie et qu’elle pose en normes sociales, c’est-à-dire en règles et usages dont la transgression est socialement sanctionnée. De sorte que l’intériorisation des valeurs et normes d’une société contribue, chez ses membres, au sentiment de ressemblance en soi et de différence avec les autres.
On le remarque, savoir et valeurs ne sont pas sans lien avec la culture de la société qui éduque. En effet, la culture, ou manière d’être au monde, est étroitement liée aux manières de penser, de sentir, de croire et d’agir. Manière d’agir sur soi, sur le monde, et de les transformer. Manière de sentir, c’est-à-dire de saisir par la subjectivité, soi et le monde. Manière de penser, c’est-à-dire de saisir par la raison, soi et le monde. Manière de croire (en termes de croyances religieuses et de convictions philosophiques). Insistons : la culture d’une société n’est pas pure de tout contact avec d’autres cultures, ni dénuée d’éléments universels. De plus, la culture en tant que phénomène englobant, ne peut se réduire à la somme de ses manifestations concrètes. Elle ne se réduit pas à l’addition des produits communicables de ses manières de penser, de sentir, de croire et d’agir (pensée, musique, littérature, théâtre, danse, croyances diverses, valeurs et autres techniques) car elle est aussi et surtout une sorte de force, souvent inconsciente, qui travaille ses porteurs (les femmes et les hommes) et que ces derniers travaillent.
Qu’en est-il, donc, de l’éducation à Djibouti ? il y a, à Djibouti, deux formes éducatives. Il y a l’éducation dite traditionnelle de type pastoral qui se fait par et dans la vie. Elle prédomine en milieu rural où les enfants des pasteurs nomades continuent d’être éduqués sur le mode immersif à dominante orale. Il y a également l’éducation scolaire introduite par la colonisation qui, elle, prédomine en milieu urbain.
Or, si l’éducation ‘’traditionnelle’’ repose sur notre savoir ancestral ainsi que sur nos valeurs et notre culture, l’école est, elle, centrée sur un savoir écrit, institué par l’administration coloniale puis repris par l’État postcolonial au titre de l’éducation nationale. Même si certaines tentatives gouvernementales de réforme scolaire peuvent être repérées, l’absence dans les programmes de deux de nos grandes langues maternelles (afar et somali) ou de la morale ‘’traditionnelle’’, pour ne citer que ces dernières, montre que l’école reste largement à djiboutieniser. Elle nous pose la question de la transmission du savoir, des valeurs et de la culture locaux.
Dès lors, il y a urgence éducative à Djibouti.
Face à cette urgence, le MRD propose de :
- Organiser un débat national pour repenser et unifier notre double éducation (l’éducation endogène et celle scolaire d’origine exogène) en une éducation réellement nationale ;
- Prendre ainsi en compte, dans le système éducatif, notre éducation dite traditionnelle afin que nos enfants, à la ville comme à la campagne, s’approprient en classe, à côté du savoir global (sciences et techniques partagées à travers le monde), le savoir local, nos valeurs et normes sociales, nos langues, nos arts (littérature, musique, danse, théâtre, etc.), notre histoire, notre géographie, toutes choses qui reflètent notre culture ;
- Garantir la qualité des enseignements-apprentissages et l’accès de tous à l’éducation, notamment par la formation des enseignants et une stratégie pédagogique qui prenne en compte notre imaginaire éducatif endogène ;
- Accroître les ressources allouées au système éducatif dont il faut assurer la gestion efficace, efficiente et transparente à tous les niveaux ;
- Développer la recherche éducative : sur l’éducation endogène, sur l’école, sur les articulations entre les deux formes éducatives ;
- Associer à la gestion du système éducatif toutes les parties prenantes : parents, élèves, enseignants, chercheurs, administrateurs de l’éducation, politiques, religieux et autres acteurs de la société ;
- Exercer une veille éducative permanente, notamment par la mise en place d’un véritable observatoire de l’éducation nationale.