L’Etat repensé, disons-nous, doit être Educateur, protecteur et responsabilisateur. C’est capital pour renaître, très important pour rattraper le rendez-vous manqué de l’édification.
Il doit aussi être développeur. Développeur de notre capital humain. Développeur de nos potentialités. C’est là une évidence, mais il n’est pas inutile, loin s’en faut, de la rappeler. Jamais inutile de redire les choses utiles.
Développeur donc que l’Etat. C’est un rôle crucial qui exige de lui un souci de tous les instants, une volonté politique inébranlable de tirer toujours les choses et les êtres vers le haut.
1 - Développer par la valorisation de nos femmes et hommes
Développer c’est d’abord valoriser le capital humain, base de tout progrès. Sans les femmes et les hommes qui composent le peuple, en dehors d’eux, quel sens peut avoir l’idée même de développement ? L’Homme d’abord, par qui et pour qui le progrès se réalise. L’Homme au cœur de l’édification.
Il s’ensuit que le capital humain doit être la priorité des priorités, le souci premier, le point de départ de l’effort de développement. L’on obtient ce dont on a les humains, dit un dicton populaire bien connu des pasteurs nomades, de nous autres. Donnons-nous donc ces humains, ou plutôt mettons-les en situation de faire la différence. Let us enable them to make the difference, comme disent les Anglo-Saxons. We have to make the difference.
Formons adéquatement les femmes et les hommes, les nôtres. Fournissons-leur les outils qu’il faut. Aidons-les à bien-être et à bien agir, à se connecter fructueusement sur leur époque.
Les former, car sans savoir-faire, qui ne va point sans savoir-être, sans dispenser à ces hommes et à ces femmes les connaissances et qualifications que requièrent la vie et la société, ils ne peuvent valablement participer au développement, à leur développement. Sans pleine conscience de leur rôle et de leurs responsabilités dans la société, ils ne seraient pas acteurs de ce qui les regarde. Ils se révéleraient au contraire un frein à la nécessaire marche en avant, au progrès, à tout le projet national.
Nous l’avons dit et redit depuis le début de ces lignes, la valorisation humaine ressortit à l’Etat éducateur, garant de l’intérêt général. Il confie cette mission au système éducatif national qu’il pourvoit de l’orientation et des moyens requis. La famille et la société y contribuent. L’action publique de tous les jours ne l’oublie pas. C’est en définitive l’affaire de tous.
La valorisation du capital humain doit être, voyons-nous, la manifestation de notre volonté collective de changer de cap, de nous écarter du chemin peu enviable sur lequel le pouvoir en place, nourri aux mamelles coloniales, nous entraîne depuis trente ans. Volonté de nous aiguiller vers la voie qui sauve, celle de la construction. Volonté de reprendre possession de nous-mêmes, de reconquérir notre autonomie collective, de décider de notre destin.
Les stratégies éducatives, comme nous avons modestement essayé de le montrer dans nos quelques réflexions sur la mission de l’Etat repensé en la matière, ne manquent pas. Les moyens pour les mettre en oeuvre non plus. Les stratégies s’articulent autour d’une école redessinée, fruit d’une véritable réflexion nationale, autour d’une école, non pas greffée sur nous, non point vécue comme un corps étranger et partant peu efficace, mais enfantée par nous. Elles s’organisent autour de l’école de la Nation et de la République. Ce sont des stratégies qui reflètent notre vision du monde, de nous-mêmes et de notre place dans le grand espace des humains et des peuples.
Nous voulons apprendre, acquérir des connaissances. Nous entendons comprendre et utiliser les sciences et technologies. Nous voulons les apprendre, non comme une religion qui nous convertisse à nous ne savons quoi d’inavoué, mais comme des outils. Nous voulons les acquérir sans perdre de vue leur dimension humaine, sans faire abstraction des conditions humaines de leur production, de leur construction, qui font leur force mais aussi leur faiblesse. Nous voulons être conscients des possibilités et des limites de ce que nous apprenons.
Nous entendons, dans le même mouvement de renouveau, développer des attitudes et des comportements adéquats à notre projet de société, à notre destin commun. Nous entendons être, non un conglomérat fragile de communautés ombrageuses, mais des citoyennes et des citoyens d’un pays, des membres conscients et responsables d’une collectivité nationale. Nous entendons cultiver ce qui nous unit, développer le socle de nos valeurs communes, vivre dans la liberté, la justice et la fraternité.
Nous voulons, forts du savoir et de notre savoir-être, nous sentir pleinement djiboutiens, fiers de notre identité nationale. Mais sans nous fermer à l’Autre.
On ne gagne pas à se claquemurer, à se complaire dans sa petite coquille. Le repli sur soi n’aide pas, il n’enrichit point. Se fermer c’est s’appauvrir. Nous le savons, nous autres nomades, qui avons élevé l’accueil et l’hospitalité au rang de valeur cardinale, qui partageons volontiers notre modeste avoir matériel.
Des femmes et des hommes instruits, éduqués, formés, des hommes et des femmes conscients et acteurs, qui savent ce qu’ils veulent, ce qu’ils font, où ils vont. Des gens qui sachent saisir leur chance, qui ne l’attendent pas mais aillent vers elle. Des citoyens qui aient le goût de l’effort, le sens du progrès, l’esprit d’initiative, capables de gagner le possible et de tendre vers le souhaitable. Ainsi nous percevons-nous.
Fiers et ouverts, receveurs et donneurs, membres sans complexe du vaste monde, ainsi nous voyons-nous.
Avec un tel capital humain, de telles ressources en femmes et hommes, l’on a de bonnes chances d’avancer, de construire notre pays et notre nation. Nous avons bon espoir d’en finir avec l’immobilisme, les difficultés sans fin, la misère généralisée et l’angoisse devant l’avenir. Car avec des têtes bien faites, pleines de ce qu’il faut de savoir et d’ambition positive, avec des cœurs pénétrés de courage et de fraternité, le progrès cesse d’être un rêve irréalisable. On n’accuse pas la fatalité, on agit et avance d’un pas assuré.
Les nations qui ont réussi, quelquefois de moindre taille que nous, n’ont pas reçu le développement en révélation, elles l’ont tout simplement voulu, pensé puis traduit en actes. Elles se sont même, dans certains cas, sous des cieux parfois proches des nôtres, métamorphosées en un temps record à l’échelle de ce que nous apprend l’histoire du développement. C’est dire que, toutes proportions gardées, la chose est à notre portée.
Vouloir c’est pouvoir.
2 - Développer par la valorisation de nos potentialités
De ces têtes bien faites et de ces cœurs à l’avenant, doit pleinement jaillir l’intelligence créative, inventive, en un mot bâtisseuse. Les gisements d’ingéniosité qui sommeillent en nous doivent trouver à se déployer de manière consciente et responsable. Ils ont à se saisir de nos potentialités, à les penser et transformer. Dans l’intérêt bien compris de tous.
Ce, dans le cadre stimulant de l’Etat développeur. Qui doit s’empresser d’attirer les humains et leurs idées sur le terrain de l’action, s’atteler à galvaniser les énergies et à leur montrer que la partie est jouable. Qui doit s’employer à prêcher par l’exemple. Il ne doit pas ménager ses efforts pour faire en sorte que les idées, les informations, les ressources financières et les énergies humaines fassent corps dans l’action.
A l’Etat développeur, qui crée l’environnement politique, juridique et institutionnel qui convient, garantit les conditions d’une véritable vie économique et sociale, qui suscite la confiance active des uns et des autres, il revient d’identifier nos atouts, nos potentialités de toutes sortes à des fins de valorisation responsable, profitable à tous.
Ces potentialités, contrairement à ce que l’on peut entendre ou lire ici et là, contrairement à la mauvaise foi de certains et à la facilité d’autres, ne manquent pas. Nous ne pouvons douter des possibilités que nous offre notre pays.
C’est ainsi que notre vocation de plaque tournante économique régionale n’est pas une illusion. C’est une donnée palpable liée à notre situation géographique et culturelle privilégiée. Il nous est avantageux d’être situés entre l’Arabie et l’Afrique, en bordure de la Mer Rouge, une voie commode de communication entre les habitants de ses deux rives, en particulier sur le plan commercial. Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, cette étendue d’eau bleue a toujours permis des échanges entre les deux régions, entre l’Afrique orientale et l’Arabie. Il en est toujours ainsi. Il suffit de considérer le nombre de navires qui vont et viennent entre les deux rives. Bestiaux, café et autres produits est-africains prisés traversent la Mer Rouge vers les consommateurs de la Péninsule arabique. Des marchandises locales ou de réexportation, manufacturées ou non, viennent en sens inverse.
Il y a là des flux dans lesquels nous pouvons jouer un rôle à la hauteur de notre position d’interface. Nous pouvons non seulement accroître notre part de marché dans ce commerce, mais contribuer à l’amplifier.
Nous sommes adossés à un véritable hinterland riche à la fois en produits d’exportation et en besoins d’importation. L’économie éthiopienne est l’une des plus prometteuses de la sous-région. Même si elle ne gagne pas aux tensions avec l’Erythrée, à l’intervention en Somalie et aux problèmes internes liés aux frustrations de certaines communautés nationales. Plus loin, des pays enclavés comme l’Ouganda, le Burundi ou le Rwanda, ne seraient pas mécontents de trouver plus près de chez eux ce qu’ils vont chercher au loin. Au-delà, c’est tout un pan du marché d’Afrique que nous capterions.
Il est tout à fait possible de réaliser une grande zone franche de ce côté-ci de la Mer Rouge. C’est une question de volonté politique et de suite dans les idées. Faire de Djibouti et de ses équipements portuaires et aéroportuaires un grand centre d’éclatement régional est chose possible. Centre de réexportation de produits venus d’ailleurs au moindre coût. Centre détaxé de production locale par une industrie légère tournée vers l’exportation. Centre d’échanges divers. Nous pouvons, à force d’efforts et de persévérance, valoriser la place de Djibouti et lui faire jouer son rôle de trait d’union économique entre les deux rives de la Mer Rouge. La célèbre formule «Djibouti, terre de rencontres et d’échanges» peut enfin se traduire dans les faits et recevoir un contenu digne d’elle et du pays.
De plus, ce rôle d’interface entre la Péninsule arabique et l’Afrique de l’Est peut, et doit, être amplifié par un autre privilège nôtre. Celui que nous confère le fait que la Mer Rouge est aussi l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde. Nous sommes posés sur une voie qui ne relie pas seulement l’Afrique et l’Arabie mais la Mer Méditerranée et l’Océan Indien. Nous sommes entre le Canal de Suez, point d’accès privilégié au bassin méditerranéen ainsi qu’en Europe et au-delà, et l’Extrême Orient, entre deux pôles clés des échanges mondiaux.
Nous sommes sur une ligne que le boom économique de Chine et d’Inde, ces colosses à la croissance économique accélérée, stimule. Les rives de la Mer Rouge intéressent ces marchés en quête de sources d’approvisionnement et de débouchés commerciaux. Les matières premières d’Afrique et d’Arabie ainsi que leurs consommateurs, sont une cible non négligeable dans les plans des géants économiques en devenir accéléré que sont la Chine et l’Inde.
C’est, du reste, cette position géographique avantageuse qui nous vaut l’intérêt des puissants de ce monde. C’est elle qui a attiré les Français sous nos cieux au dix-neuvième siècle. C’est elle qui explique aujourd’hui leur présence militaire, mais aussi celle d’autres pays européens. C’est par elle que se justifie la base des Etats-Unis d’Amérique. Faisons-la fructifier en termes économique et social.
Devons-nous souligner à nouveau que cette vocation naturelle est d’autant plus exploitable et optimisable que les infrastructures de base, telle la chaîne des transports, ne nous font point cruellement défaut ?
Le port de Djibouti, création coloniale, est l’un des mieux placés et plus modernes de la région, notamment avec son terminal à conteneurs qui est l’une des rares réalisations sérieuses ayant vu le jour depuis l’Indépendance du 27 juin 1977. Il accueille, depuis l’éclatement de la guerre entre l’Ethiopie et l’Erythrée, en 1998, l’essentiel du trafic éthiopien. Cela a fait littéralement exploser son chiffre d’affaires. Il est passé d’un peu plus de trois milliards et demi en 1997 à treize milliards en 2005. Un coup d’œil sur les camions poids lourds qui se bousculent sur l’étroite Route nationale n°1, se pressent sur la grande aire de stationnement du Point Kilométrique 12 (PK12) ou à l’entrée de l’enceinte portuaire, suffit à s’en persuader. Ils acheminent toutes sortes de marchandises vers les hauts plateaux éthiopiens, depuis les articles manufacturés jusqu’aux produits pétroliers, en passant par les engrais et autres entrants en production. Ils n’en reviennent pas vides : l’Ethiopie exporte, et pas seulement du café.
Nous jouons aussi un rôle de port de transbordement. De grands navires transfèrent, chez nous, tout ou partie de leur cargaison à des bateaux de moindre taille que l’on appelle des caboteurs parce qu’ils naviguent près des côtes. Ce transbordement est rendu nécessaire par le fait que des marchandises destinées à différents pays de la région sont regroupés aux ports d’embarquement pour des raisons évidentes de coût (un seul voyage pour l’ensemble revient bien moins cher qu’un transport pour chaque destination). Ces produits sont déchargés au port le mieux placé par rapport aux différentes destinations régionales. Le mieux placé mais aussi le mieux équipé.
Pareillement, le port de Djibouti ne manque pas d’infrastructures pétrolières afin de servir de dépôts de carburant, ce qui lui permet notamment d’assurer un service de ravitaillement en pétrole pour les navires. C’est un argument solide pour attirer les bateaux. Sans ces infrastructures, il nous serait fort difficile de jouer notre rôle portuaire. Même les bâtiments de guerre en pâtiraient : en dépit de l’autonomie accrue qu’autorise la marine moderne, les flottes (navires et aéronefs intégrés), y compris les plus puissantes, ont besoin de se ravitailler à un moment ou à un autre de leurs missions, surtout lorsque celles-ci sont de longue durée.
Ces mouvements de navires peuvent du reste créer des activités annexes non négligeables. Nous pensons à l’avitaillement, qui est le pendant alimentaire de l’approvisionnement en pétrole, à la maintenance dont le carénage, au transit, à la manutention, ou encore à l’agence maritime.
Ainsi sont nos possibilités en mer. Et dans le airs, nous ne sommes pas dépourvus d’arguments. L’aéroport international de Djibouti n’est pas condamné à demeurer une simple plateforme militaire. Il a une vocation économique qui doit se valoriser par un véritable schéma d’intégration Port-Aéroport. Les clients enclavés d’Afrique de l’Est peuvent y trouver leur intérêt. C’est à nous d’être compétitifs, de les attirer par un bon rapport qualité/prix. Ce n’est point couvrir des milliers de kilomètres que de relier Djibouti à Addis-Abeba ou à Kampala, à Kigali ou à Bujumbura. Pourquoi ne pas alors combiner, habilement, cette proximité géographique et les courts délais de mise à disposition qu’elle permet avec une politique de bas tarifs ? Pourquoi ne pas viser l’effet d’échelle qui autorise la compression des coûts ? Plus une offre est bon marché, plus elle est attractive et porteuse de clients. Il s’ensuit un effet d’échelle qui permet de réduire les coûts et de mieux manier le levier des marges.
Signalons également que le chemin de fer djibouto-éthiopien, qui relie notre capitale à Addis-Abeba, sur une distance d’environ 780 Km, confère sa part de valeur ajoutée à notre pays. Il contribue à valoriser davantage notre vocation de place portuaire et commerciale. Bon marché, ce mode de transport, qui d’ailleurs tire ses origines de l’adéquation de notre positionnement au rôle de débouché maritime pour l’Ethiopie et au-delà, est approprié à l’acheminement de masse des biens et des personnes des côtes vers l’hinterland. Il n’attend que d’être modernisé pour retrouver de sa splendeur d’antan. Un projet de modernisation du rail, qui a reçu le concours financier de partenaires au développement tels que l’Union Européenne, jaunit dans les tiroirs. Il est regrettable de voir le chemin de fer en arriver à ne plus honorer ses obligations salariales, accumuler les arriérés de salaires et finalement licencier en masse.
Au moment où l’Afrique prend lentement conscience, sous la houlette d’hommes d’Etat aux convictions ancrées, de la nécessité vitale d’accélérer son intégration économique pour aller de l’avant, le chemin de fer djibouto-éthiopien peut raisonnablement s’inscrire dans un projet de réseau ferré régional. Un cadre comme le Marché commun d’Afrique orientale et australe (COMESA : Common Market of Eastern and Southern Africa) s’y prête bien.
La route vient compléter la diversification de notre chaîne des transports. En effet, outre le rail, la mer et le ciel, des voies terrestres nous relient à nos voisins. Des axes, certes à asphalter ou à reconstruire selon le cas, s‘élancent vers l’Ethiopie, se prolongeant jusqu’à sa capitale Addis-Abeba. Le trafic éthiopien les emprunte déjà, invoquant le mauvais état où se trouve la voie ferrée. Avec la Somalie et l’Erythrée, les possibilités ne manquent point non plus. Le mouvement terrestre des biens et des personnes avec ces deux pays, qui, tout comme l’Ethiopie, nous sont étroitement liés à bien des égards, est une réalité. Il s’effectue par pistes et ne demande lui aussi qu’être développé. Il faut commencer par transformer les pistes en routes. Et c’est là un domaine où une organisation telle que l’IGAD (Inter-Government Agency for Development) a vocation à apporter son appui. Il nous en souvient, à titre d’exemple, qu’un projet de construction d’une route nous reliant à la Somalie, sur financement extérieur, a été relégué aux oubliettes par l’effondrement de l’Etat somalien. L’intérêt et les partenaires en demeurent.
Nos télécommunications sont performantes qui doivent beaucoup à un homme de vision, le regretté Youssouf Ali Chirdon, qui a eu à les diriger dès les premiers pas de l’Etat post-colonial. Elles disposent d’équipements de bon niveau. Elles recourent à la fibre optique (câbles sous-marins), aux satellites et aux faisceaux hertziens. Elles intègrent les nouvelles technologies de l’information (NTI), ne négligent pas les techniques anciennes qui ont fait leurs preuves telles que la radioélectricité. Elles nous placent ainsi au premier rang de la sous-région.
Elles nous confèrent un potentiel important en la matière, un potentiel à la hauteur de notre vocation régional de centre d’échanges. Il nous est possible, à l’échelle nationale, de démocratiser le téléphone et les nouvelles technologies de l’information telles que l’Internet. Il nous est aussi possible de rayonner vers la sous-région.
Le secteur des télécommunications est l’un des rares où abondent des cadres djiboutiens bien formés qui ne demandent qu’à servir leur pays. Ils sont maintenus dans une posture sclérosante qui ne leur permet guère de donner la pleine mesure de leurs talents. Faire valser les directions selon des considérations peu avouables à la tête de la société d’Etat Djibouti-Télécom, y faire alterner Djiboutiens et expatriés, y interférer sans cesse à des fins personnelles, puisant notamment dans les caisses comme dans ses poches, voilà qui n’est point sain.
Ce qui fait défaut ici, c’est une vision claire, une volonté politique effective. Le secteur a besoin d’être dynamisé, d’une libération des énergies et des intelligences, d’une impulsion qui redonne confiance et espoir. C’est indispensable pour que les hommes et les moyens fructifient.
Bien situés, dotés d’un fort potentiel en chaîne des transports et télécommunications, nous possédons aussi une monnaie stable, connue pour sa parité fixe avec le dollar et librement convertible. Cela, conjugué avec nos possibilités de commerce et de services, nous confère des gisements de développement financier.
Actuellement, notre système financier compte un nombre trop limité de banques, des établissements de type commercial qui ne se sentent guère incités à contribuer à l’effort national de marche en avant. Les deux principales banques privées qui opèrent sous nos cieux, la BCI (Banque pour le commerce et l’industrie) et la BIS (Banque Indosuez), rachetée par Crédit agricole, sont modernes. Elles sont contrôlées par des sociétés de niveau international et ont un savoir-faire éprouvé. Implantées de longue date, elles ont appris à tirer leur épingle du jeu et ont survécu aux faillites successives qui ont emporté plusieurs établissements plus récents. Faillites non sans rapport avec la rapacité du pouvoir en place dont les dignitaires sont prompts à emprunter aux banques sans vraiment rembourser leurs dettes. La Banque de Djibouti et du Moyen Orient (BDMO), Gulf Trust Bank, Al Baraka et la Banque de développement de Djibouti, toutes victimes de la prédation, n’ont pas eu la chance de la BCI et de la BIS.
Il n’empêche que ces deux solides rescapées se plaignent souvent des dysfonctionnements de la justice djiboutienne. Elles invoquent un stock trop lourd de créances non recouvrées par les voies de droit pour justifier leurs taux d’intérêt élevés. Intérêts mal vécus par les emprunteurs auxquels la pénurie locale de prêteurs laisse peu de choix.
Signalons, tout de même, la naissance récente de deux nouveaux établissements bancaires privés et espérons qu’ils ne mourront pas à leur tour.
Avec une politique économique digne de ce nom, qui s’appuie sur une banque nationale compétente et dynamique, une politique qui ouvre des perspectives raisonnables de croissance, avec un environnement général assaini et attractif, notre système financier peut mieux s’affirmer. Une offre d’argent diversifiée et suffisante est possible pour soutenir notre progrès économique et social. En la matière, et outre son rôle de régulation du marché financier et d’encadrement monétaire, en plus des projets à caractère public, l’Etat doit pouvoir agir où l’intérêt général l’appelle. Intervenir, non point intempestivement, mais quand il le faut et où il le faut. Il doit, par exemple, garantir, d’une manière ou d’une autre, le financement que nécessitent les créateurs et autres développeurs d’entreprise ainsi que le développement local. Il doit garantir le financement de l’accession à la propriété du logement et de certains besoins essentiels des ménages. Une vraie banque de développement, des guichets pour le logement et l’équipement des ménages, des sources de financement des entreprises, surtout des petites et moyennes d’entre elles qui peinent beaucoup à se financer, des lignes de crédit pour le développement local, un système d’assurances accessible, y compris à l‘exportation et à la réexportation, etc. etc. les pistes, voyons-nous, existent. L’Etat ne peut pas se croiser les bras face à ces urgences, il lui faut s’impliquer, quitte à passer le témoin plus tard lorsque l’initiative privée se hisse responsablement à la hauteur des enjeux.
Et les richesses de la nature ? En avons-nous ? Difficile de penser que nous en soyons totalement dépourvus, comme nous le martèle ce vieux cliché d’origine coloniale qui nous réduit au peu enviable sort de terre lunaire, sans ressources naturelles, condamnée à la canicule et à la mendicité. Cliché qu’une certaine littérature facile, en manque de sensationnel à vendre, se plait à entretenir.
Nos roches, nos eaux territoriales ainsi que nos airs, ne nous semblent point si ingrats. L’existence de gisements de ciment, de gypse, de marbre, de perlite, d’eaux minérales, de géothermie, etc. n’est pas le fruit de notre imagination. Elle est avérée.
Notre faune terrienne, marine et sous-marine est une réalité. Sur terre, de belles espèces à admirer et protéger, ailées ou non, se rencontrent. La splendeur de nos profondeurs sous-marines, c’est connu, ravit les sens et aiguise la curiosité intellectuelle. Qui les a visitées, en revient le cœur et l’esprit conquis. Notre flore, parfois riche d’essences qui plongent dans la nuit des temps, comme à la rafraîchissante forêt du Day, ne relève pas du mythe.
La force de nos vents et de nos marées ou l’ardente clarté de notre soleil prennent toute leur valeur à l’heure du réchauffement planétaire et des énergies alternatives au pétrole roi. Elles nous promettent de merveilleuses ressources en énergie. Insistons pour dire que les techniques en vue d’une exploitation réellement alternative des énergies solaire, éolienne, marémotrice et autres, progressent à un rythme accéléré sous la pression de la pollution, de l’effet de serre et des caprices tarifaires du pétrole. Que des pays aussi développés que les Etats-Unis d’Amérique ou ceux de l’Union Européenne se montrent de plus en plus décidés à développer les énergies alternatives au pétrole, que la Maison Blanche parle de désintoxiquer son pays du pétrole, pour reprendre une formule employée au plus haut niveau de l’administration fédérale, voilà qui n’est pas mauvais signe. Le « business as usual », ne peut plus durer dans le domaine de l’énergie.
Et ce n’est pas fini, car nos vingt-trois mille kilomètres carrés n’ont pas encore livré tout ce qu’ils recèlent. Ils attendent que leurs filles et fils les investissent, en explorent tous les coins et recoins, en découvrent les secrets. Ils attendent leurs enfants pour s’ouvrir, telle une femme aimante aux bras de l’élu de son coeur. Ils nous attendent.
Notre cas ne nous paraît donc point désespéré au sein de la mère nature. Des gisements d’emplois et de revenus, des créations de richesses, nous y attendent. Il nous faut les exploiter en bon père, ou bonne mère, de famille.
Il s’agit de commencer par valoriser le connu, tout en poursuivant les recherches du moins connu. Exploitons intelligemment les ressources mises au jour. Le faire dans le respect de la nature, de l’avenir et de l’intérêt général. Exploitons nos eaux minérales, notre ciment, notre gypse, notre perlite, notre énergie de la géothermie, etc. Exploitons-les dans les meilleures conditions, en usant des technologies les plus adéquates, avec, quand il le faut, les partenaires les plus intéressants. Ne bâclons rien comme le fait le régime actuel, ne gaspillons point les opportunités.
Mettons en valeur, dans le même mouvement, nos savoir-faire ancestraux. Cessons de regarder le traditionnel comme étant sans intérêt, comme du dépassé. Bien des objets de la tradition conservent leur utilité et sont économiquement valables. Sachons qu’à la fonctionnalité, le traditionnel ajoute le charme de son originalité, la marque de son temps, la valeur de sa rareté. Ce sont des arguments qui séduisent, et pas seulement les touristes. Ils ne laissent pas indifférents les consommateurs lassés du tout moderne, ou simplement soucieux de différenciation, qu’ils soient locaux ou étrangers. Et, à l’heure du bio et du commerce équitable, il y en a de plus en plus à travers le monde. Développons donc notre artisanat, faisons-en un secteur à part entière, capable de fournir travail et rémunération. Une multitude d’objets aussi usuels que beaux peuvent ressurgir de nos mains. Des innovations développantes peuvent jaillir de nos talents. Lançons-nous, investissons dans l’héritage ancestral. Cela ne nous fera que du bien.
Dans le même esprit de valorisation, élevons mieux nos caprins, ovins, bovins et autres camélidés. Apprenons à pratiquer un élevage plus moderne, moins agressif pour l’environnement. Pratiquons un élevage mieux maîtrisé, moins soumis aux aléas de la nature. Et de ce point de vue, n’hésitons pas à aller voir comment font les autres avec des conditions naturelles similaires ou proches des nôtres. Il nous faut parvenir à ce que nos pasteurs vivent de leur labeur, mènent une existence moins précaire. L’élevage doit devenir un moyen plus fiable de subsistance sous nos cieux.
Ne négligeons point l’agriculture. En dépit de nos origines nomades, nous possédons un certain savoir-faire. Nous savons cultiver, produire des plantes demandées par les consommateurs. Certains d’entre nous, au Nord comme au Sud, pratiquent le maraîchage, font pousser des arbres fruitiers. Développons donc nos capacités agricoles partout où cela est possible, faisons-le avec le souci de la compétitivité, c’est-à-dire à coût raisonnable.
Tournons-nous aussi vers les produits de notre mer. La pêche dans nos eaux peut donner lieu à une exploitation responsable qui réponde aux besoins du marché local et même viser l’exportation. Exploiter l’existant marin et sous-marin sans le détruire et compromettre l’avenir. L’utiliser tout en l’améliorant par un réel intérêt pour la pisciculture. Il faut ici mener une action conséquente de formation, de professionnalisation et de soutien au lancement et au développement des micro-entreprises.
Développons le tourisme. Développons-le avec le souci de l’équilibre écologique, de la protection de l’environnement physique et culturel. Offrons un tourisme, non de masse et partant destructeur, mais contrôlé. Offrons un tourisme qui allie culture et couleurs, richesse humaine et attractions physiques. Dans un pays comme le nôtre, marqué par une riche tradition du mouvement, où la sédentarité s’invite à travers la modernité, dans un pays aux paysages si variés et originaux, où la montagne côtoie la plaine et la mer, où les vestiges d’un passé immémorial se mêlent aux signes avant-coureurs d’un futur lointain, au pays du Lac Assal et du Lac Abbé, des Grand et Petit Bara, des cascades d’eau de Bankoualé et des plages de sable blanc, au pays où le bruissement de la verdure sait s’effacer devant le besoin de silence et de solitude, un autre tourisme que les sentiers battus est possible. Donnons-le à savourer.
On le voit, nous développer est tout à fait possible. C’est une affaire de volonté politique et de claire vision.
C’est loin des errements du pouvoir en place, de la gestion au jour le jour. Loin de la prédation et de la confiscation avide.
Aujourd’hui, l’on a beau chercher les lignes d’une politique de développement, rien de sérieux ne se laisse percevoir. Ce que l’on voit, ce sont des initiatives décousues bien plus motivées par des considérations personnelles d’ordre sonnant et trébuchant que par un souci de développement. Comme nous le savons, l’on ne compte plus les projets sans lendemain, mort-nés ou de courte existence. On sait ce qu’il est advenu du projet à milliards de la géothermie ; des unités industrielles (Laiterie de Djibouti, Usine des Aliments du bétail, Eaux de Tadjourah) ; des projets agricoles dits pilotes du PK20, de Mouloud et d’ailleurs ; des ports de pêche de Djibouti-ville et d’Obock ; du projet de recyclage des ordures de Doudah. On sait comment sont gérées les initiatives plus récentes d’Ali-Sabieh (Eaux d’Ali-Sabieh, Unité de marbre). On voit ce qui reste des promesses grandiloquentes de Doraleh (on attend encore le super-complexe formé d’un port pétrolier, d’une zone franche et d’un terminal à conteneurs).
Et quand, beaucoup plus rarement, cela marche par la force choses, ce n’est guère au bénéfice du peuple. Illustration en est fournie par notre port. Comme nous l’avons dit plus haut, depuis 1998, la guerre entre l’Ethiopie et l’Erythrée en a fait exploser le niveau d’activités. Mais qu’en est-il des retombées ? Elles sont très peu perceptibles sur la vie des Djiboutiens. En dehors d’environ deux centaines d’emplois, plus ou moins précaires, comme le montre la précarité réservée aux 156 agents de sécurité, l’impact se fait attendre. Pourquoi ? Par manque de volonté politique, de souci de l’intérêt général. L’outil portuaire est accaparé par le pouvoir en place qui en a confié la gestion à une équipe de ses amis de Dubaï Ports International (DPI). Il l’a fait en 2000 par un contrat dit de gestion dont le chef du régime, Ismaël Omar Guelleh, son ami et homme d’affaires Abdourahman Mohamed Mahamoud Boreh, sont les seuls, avec les gens de DPI, à connaître les clauses. Alors même qu’il s’agit d’un élément capital du patrimoine national et qu’il est soumis au contrôle public.
Dans la même logique confiscatoire, l’aéroport international de Djibouti, que notre position stratégique ne dessert pas non plus, est victime de la mal-gouvernance au pouvoir. Il a été lui aussi, en 2002, placé sous contrat de «gestion» avec le même DPI. Dans les mêmes conditions d’opacité totale.
Electricité de Djibouti (EDD), l’Office National des Eaux de Djibouti (ONED), Djibouti-Télécom, etc. sont autant d’autres exemples de gestion personnelle des affaires publiques.
C’est dire si l’argent va ailleurs qu’à bon port.
C’est donc de véritables serviteurs publics, capables de tirer les êtres et les choses vers le haut, que nous avons besoin. Il nous faut un autre Etat que l’instrument d’oppression et d’enrichissement illicite actuel. Nous voulons un Etat développeur. Osons nous le donner.