Comme vous le savez, ces développements sont partis de l’Éthiopie voisine dont le peuple frère s’est mobilisé pour la démocratie, la justice et la bonne gouvernance. Ces ardentes aspirations populaires ont rencontré la clairvoyance de certains dirigeants du pays dont Dr Abiy Ahmed Ali, investi Premier ministre par le Parlement éthiopien le 2 avril 2018. Le nouveau Premier ministre est vite passé du discours aux actes à l’intérieur d’Éthiopie en formant un nouveau gouvernement et en posant des gestes forts dont la libération des prisonniers politiques, l’amnistie des exilés, la levée de l’état d’urgence, le rétablissement des communications Internet, l’initiation d’un combat contre la corruption, le renforcement du respect de la Constitution et de ses dispositions démocratiques telles que les libertés publiques, etc. Il a appliqué la même volonté d’apaisement aux relations extérieures et à la diaspora de son pays, visitant Djibouti, la Somalie, le Kenya, le Soudan, l’Erythrée, l’Égypte, les Etats-Unis d’Amérique. Avec l’Érythrée, il a réalisé la paix tant attendue par les populations, ouvrant la voie à la rencontre entre le Président Issayas Afework et le Président de la République fédérale de Somalie, Mohamed Abdullahi Mohamed dit ‘’Farmaajo’’. Même s’il reste encore des obstacles à lever sur le chemin du renouveau démocratique en Éthiopie et d’une paix durable dans la région, ce qui a été accompli en quelques mois est considérable.
‘’Le bien qui arrive à ton frère te profite aussi’’
Ayant à l’esprit le dicton pastoral selon lequel le bien qui arrive à ton frère te profite aussi (‘’Wanaaga walaalka uso kordha adna wax ku lihid’’ en somali, ‘’Ku toobokoyti ge maqaanet tu xagtah’’ en afar), nous autres Djiboutiens avons, dans notre immense majorité, favorablement accueilli ces changements. Au MRD, nous avons salué ces avancées vers la démocratie en Éthiopie et vers la paix dans la Corne de l’Afrique. Nous espérons vivement, comme vous tous, que le différend frontalier entre Djibouti, notre patrie, et l’Erythrée voisine trouvera aussi un règlement juste et pacifique.
Chers compatriotes, à ce vent de changement qui souffle depuis l’Éthiopie, notre pays ne peut pas échapper. Ce qui se passe chez nos voisins immédiats ne peut pas être sans impact sur nous.
Economiquement, avec le retour de la paix entre l’Éthiopie et l’Erythrée, le chemin des ports érythréens d’Assab et de Massawa se rouvre au commerce extérieur éthiopien. Ce, d’autant plus vite que ces infrastructures portuaires font l’objet, à Addis-Abeba comme à Asmara, d’une forte volonté de reconstruction accélérée. Nos ports seront donc concurrencés pour l’accès à la mer de l’Éthiopie. Indiscutablement, cela affectera notre économie, notamment dans sa capacité à rentabiliser les investissements importants engagés et à rembourser la dette non-concessionnelle considérable contractée auprès d’institutions chinoises, ce qui ne contribuera pas, on l’imagine, à créer des emplois. Ce ne sera pas une incidence mineure dans un pays aux ressources limitées, au chômage massif et dont la population, à dominante jeune, est lassée de la pauvreté.
Politiquement, en raison des liens humains et culturels de part et d’autre de la frontière djibouto-éthiopienne, le renouveau démocratique en marche en Éthiopie, encourage l’aspiration de longue date du peuple djiboutien à la démocratie et à la bonne gouvernance. C’est pourquoi les Djiboutiens ont, dans leur immense majorité, perçu les actes forts posés par le Premier ministre éthiopien comme une très bonne nouvelle.
On peut concevoir que cette dynamique vers la démocratie ne puisse pas enthousiasmer les tenants du statu quo dans notre pays : il n’est pas psychologiquement aisé d’accueillir avec joie de tels changements après tant d’années de pouvoir sans partage. Mais il est des moments où la lucidité, le réalisme et le courage doivent l’emporter sur l’égoïsme, l’orgueil et la peur. Vouloir maintenir à tout prix le statu quo n’est pas seulement absurde, c’est aussi suicidaire. C’est ce qu’ont compris la majorité des dirigeants de la coalition au pouvoir en Ethiopie, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien. Ils ont saisi l’enjeu et su éviter l’effondrement de l’État éthiopien en opérant un déverrouillage démocratique.
Prévenir les réactions de désespoir et autres risques
L’enjeu pour notre pays est tout aussi grave, notre avenir tout aussi engagé. Il n’est point besoin d’une analyse profonde pour identifier les frustrations des Djiboutiens et repérer le mécontentement qui gronde en eux. Or, comme le rappelle un proverbe de chez nous, quand une marmite reste trop longtemps sur le feu, elle ne peut que déborder. C’est dire que, si la privation de libertés et de droits persiste à Djibouti, au moment même où plus de cent millions d’Éthiopiens y accèdent sous nos yeux, le pays n’est pas à l’abri de réactions intérieures désespérées. De même, le maintien du statu quo l’expose à d’autres risques qu’entraînent ou aggravent les bouleversements actuels, risques dont certains sont déjà perceptibles.
A l’évidence, un tel scénario négatif n’est pas souhaitable. Il doit être prévenu. Et sa prévention commande, non pas de poursuivre les mêmes pratiques politiciennes et les mêmes réflexes répressifs, mais un sursaut de clairvoyance individuelle et d’intelligence collective. Elle exige une prise de conscience aigüe des enjeux et défis, un élan de patriotisme, d’unité et de solidarité.
Nous retrouver
Nous avons donc besoin de nous retrouver au plan politique pour construire un nouveau climat, une approche inclusive. Nous devons faire en sorte de penser et d’agir ensemble pour changer les pratiques, renforcer nos institutions, enraciner la démocratie pluraliste, répondre aux défis nationaux et régionaux.
Au niveau économique aussi, nous avons besoin de nous retrouver pour réfléchir ensemble aux moyens de mieux valoriser notre position géopolitique et d’assurer notre avenir socio-économique. Nous avons besoin de réfléchir à notre lourd endettement vis-à-vis de la Chine et au partenariat associé. Nous avons besoin de régler le différend autour de Doraleh Container Port (DCT) avec ce pays frère que sont les Émirats arabes unis. Nous avons besoin de réaliser les perspectives offertes par l’intégration économique sous-régionale et continentale, ce qui implique des relations fructueuses avec les pays voisins comme avec le reste de l’Afrique. Il nous faut une économie forte du talent et de l’énergie de tous les fils et filles du pays.
Dans cette entreprise de renouveau national, nous avons encore besoin de renforcer nos liens avec nos partenaires importants tels que la France, les États-Unis d’Amérique, les pays du Golfe, l’Union européenne, ou encore le Japon. Nous avons besoin de cohérence et de lisibilité dans notre stratégie de coopération internationale.
Comment nous retrouver ?
Pour nous retrouver en vue de ces objectifs, une atmosphère apaisée est indispensable : elle est la condition préalable à toute ouverture des cœurs et des esprits. Cette atmosphère passe par des gestes forts d’apaisement de la part de nos gouvernants qui ont les moyens et l’obligation constitutionnelle de respecter et de faire respecter les libertés, les droits fondamentaux et le pluralisme politique reconnus par notre Constitution.
C’est pourquoi j’appelle notre gouvernement à rompre avec sa gestion habituelle des divergences politiques, à dépasser ses appréhensions et ses peurs vis-à-vis de l’opposition, à ne plus considérer ses adversaires politiques comme d’irréductibles ennemis mais comme des contributeurs incontournables au pluralisme politique et au débat public.
En ces temps critiques, je demande avec insistance à nos gouvernants de faire preuve de lucidité, de courage, de responsabilité. Les évènements survenus dans la région illustrent ce principe fondamental de l’existence humaine : aucune situation acquise ne peut être éternelle, encore moins un statu quo dont le glas est sonné.
M’adressant en particulier à vous, Son Excellence Monsieur le Président de la République, Ismaël Omar Guelleh, je voudrais vous dire combien l’histoire qui s’accélère dans la Corne de l’Afrique vous offre une occasion historique de surgir de là où l’on ne vous attend pas et de surprendre. Elle vous offre l’occasion d’engager notre pays dans la voie de la paix et de la réconciliation et par là même de gagner sa reconnaissance.
L’heure de la sagesse a sonné pour nous tous. Sagesse des gouvernants pour que la voix du réalisme résiste aux manifestations de l’égo et de l’émotion. Sagesse des forces démocratiques pour que la voix de la raison nous écarte des tentations hasardeuses. Sagesse du peuple pour préserver la paix, l’unité et la fraternité.
En ce qui concerne le MRD, il s’engage d’ores et déjà à participer à la concertation citoyenne authentique à laquelle il appelle toutes les parties prenantes djiboutiennes pour sauvegarder l’intérêt suprême menacé de notre Nation.
Je lance cet appel pour que nous soyons à la hauteur de ce moment historique.
Vive le Peuple djiboutien.
Vive la République de Djibouti.
President of MRD
Daher Ahmed Farah